Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB
Accident de ski – Professeur d’EPS – Hors-piste (oui) – Piste de fait (non) – Faute de l’autorité de police (non)
18/01/2024, Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB
CAA de LYON, 4ème chambre, 21/12/2023, 22LY01267, Inédit au recueil Lebon
Président
ARBARETAZ
Rapporteur
Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public
SAVOURE
Avocat(s)
LE GULLUDEC
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B… a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune d’Oz-en-Oisans à lui verser la somme de 645 690,51 euros, sous déduction du recours du ministre de l’éducation nationale, en réparation des préjudices causés par l’accident de ski dont il a été victime.
Par jugement n° 1906276 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire (non communiqué) enregistrés le 27 avril 2022 et le 16 juin 2023, M. B…, représenté par Me Favet (SELARL Cabinet Laurent Favet), demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er mars 2022 ;
2°) de condamner la commune d’Oz-en-Oisans, subsidiairement, la société publique locale (SPL) Oz-Vaujany à lui verser la somme de 645 690,51 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune d’Oz-en-Oisans la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la commune d’Oz-en-Oisans a commis une faute, en ne signalant pas précisément le thalweg et le pont de neige qui le masquait, la réalité des autres balisages n’étant, par ailleurs, pas établie ;
– subsidiairement, la responsabilité de la SPL Oz-Vaujany sera retenue ;
– cet accident lui a causé les préjudices suivants :
* DFT personnel : 12 841 euros ;
* Souffrance endurée : 25 000 euros ;
* Atteinte à l’intégrité physique et psychique : 64 400 euros ;
* Préjudice esthétique temporaire : 1 000 euros ;
* Préjudice esthétique définitif : 5 000 euros ;
* Assistance par tierce personne : 12 630 euros ;
* Assistance par tierce personne après consolidation : 20 250 euros ;
* Incidence professionnelle et perte de gains professionnels futurs : 58 555,22 euros ;
* Préjudice d’agrément : 6 000 euros ;
* Achat de matériel : 5 554,62 euros ;
* Soins de psychothérapie : 1 100 euros ;
* Soins médicaux, selon le recours du ministre de l’éducation nationale ;
* Déficit fonctionnel temporaire professionnel, selon le recours du ministre de l’éducation nationale ;
* Paiement des salaires comme professeur d’éducation physique et sportive au collège Henri Wallon, selon le recours du ministre de l’éducation nationale ;
* Soins de kinésithérapie, selon le recours du ministre de l’éducation nationale.
Par mémoire enregistré le 12 avril 2023, la SPL Oz-Vaujany, représentée par Me Trolez, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de M. B… ;
2°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er mars 2022 en ce qu’il rejette ses conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) subsidiairement, d’annuler ce jugement en ce qu’il déclare recevable l’appel en garantie présenté par la commune d’Oz-en-Oisans à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de M. B…, ou de tout autre succombant, la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
– les conclusions qu’elle a présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ont été rejetées à tort, les écritures produites apparaissant nécessaires pour assurer sa défense ;
– l’appel en garantie présenté par la commune d’Oz-en-Oisans à son encontre était irrecevable, à défaut d’être présenté par mémoire distinct en méconnaissance de l’article L. 632-1 du code de justice administrative.
Par mémoire enregistré le 24 avril 2023, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er mars 2022 ;
2°) de condamner la commune d’Oz-en-Oisans à lui verser la somme de 480 743,83 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2020 et eux-mêmes capitalisés, en remboursement des sommes exposées en conséquence de l’accident de ski de M. B….
Il soutient que :
– il est recevable à majorer ses prétentions en appel en raison de l’aggravation des préjudices depuis le jugement du tribunal administratif de Grenoble ;
– les traitements versés à son agent et les charges patronales s’élèvent à, respectivement, 201 739,01 euros et 173 167,46 euros ;
– les frais médicaux pris en charge par l’administration s’élèvent à 105 837,36 euros.
Par mémoire enregistré le 11 mai 2023, la commune d’Oz-en-Oisans, représentée par Me Le Gulludec, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) subsidiairement, de condamner la SPL Oz-Vaujany à la garantir de toute condamnation ;
3°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle expose que :
– les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
– la victime a commis une faute de nature à l’exonérer de toute responsabilité ;
– subsidiairement, la SPL Oz-Vaujany sera condamnée à la garantir de toute condamnation, celle-ci ayant été contractuellement chargée de la signalisation du domaine skiable.
La clôture de l’instruction a été fixée au 16 juin 2023 par ordonnance du même jour.
Par un courrier du 10 novembre 2023, les parties ont été informées en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que la cour est susceptible de relever d’office :
– l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions présentées par M. B… à l’encontre de la SPL Oz-Vaujany, gestionnaire du domaine skiable de la commune d’Oz-en-Oisans, seuls les tribunaux judiciaires étant compétents pour connaître d’un litige opposant un usager d’un domaine skiable à son exploitant ;
– l’irrecevabilité des conclusions d’appel provoqué présentées par la SPL Oz-Vaujany à l’encontre de la commune d’Oz-en-Oisans, dans l’hypothèse où sa situation ne serait pas aggravée à l’issue de l’examen de l’appel principal.
Par courrier enregistré le 28 novembre 2023, la SPL Oz-Vaujany a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler en réponse à cette mesure d’instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code du tourisme ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
– les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;
– les observations de Me Ayati, pour M. B…, de Me Louche, pour la commune d’Oz-en-Oisans, et de Me Drouin, pour la SPL Oz-Vaujany ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 avril 2018, M. B…, professeur d’éducation physique et sportive, a été victime d’une chute de ski sur le territoire de la commune d’Oz-en-Oisans, alors qu’il encadrait un groupe d’élèves. Il a sollicité auprès de la commune l’indemnisation des préjudices causés par cet accident, par courrier du 27 juin 2019 resté sans réponse. M. B… a saisi le tribunal administratif de Grenoble aux mêmes fins. Sa demande a été rejetée par un jugement du 1er mars 2022 dont il relève appel, en demandant, à titre subsidiaire, la condamnation de la SPL Oz-Vaujany, gestionnaire du domaine skiable. Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sollicite également le remboursement des débours exposés en tant qu’employeur de l’intéressé.
Sur les conclusions de M. B… et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse tendant à la condamnation de la commune d’Oz-en-Oisans :
2. Aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents (…), de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours (…) « . En application de ces dispositions, il appartient notamment au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par prudence, se prémunir.
3. Le 6 avril 2018, alors qu’il encadrait un groupe d’élèves, M. B… a chuté de plusieurs mètres en tentant de traverser un thalweg occupé par le lit d’un ruisseau et recouvert de neige qui a cédé sous son poids. L’accident s’est ainsi produit après que l’intéressé a, en conscience, quitté la piste balisée, sans qu’il ne démontre, comme il le prétend, y avoir été contraint par l’état de cette piste. Les seules attestations de trois des élèves alors présents, faisant état de traces marquant le chemin suivi par leur professeur, ne permettent pas d’établir que ce chemin était fréquemment emprunté par les usagers du domaine skiable. Ainsi, il ne résulte pas de l’instruction que ce chemin faisait partie de ceux, qui, bien que hors du domaine skiable, doivent donner lieu, dans l’exercice par le maire de son pouvoir de police, à une signalisation, voire à une interdiction d’accès, en cas de danger exceptionnel. Au surplus, il résulte des photographies horodatées versées au dossier, plus particulièrement de celles qui, par la présence de secouristes ou d’élèves, ont nécessairement été prises le jour de l’accident, que des balises rayées de noir et de jaune étaient disposées le long de la portion de ce cours d’eau la plus proche de la piste, aucun élément ne permettant d’affirmer que ce dispositif aurait été installé après l’accident, par les pisteurs chargés des secours. Ce balisage, dont la signification ne pouvait être ignorée par un professionnel de l’enseignement du ski, était approprié à la nature du danger constitué par le ruisseau, sans qu’il ne puisse être reproché au maire de ne pas l’avoir étendu à tout le talweg. Par suite, M. B…, à qui il appartenait de se prémunir contre ce danger, n’est pas fondé à reprocher au maire d’Oz-en-Oisans une faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
4. Aucune condamnation n’étant prononcée à l’encontre de la commune d’Oz-en-Oisans, les conclusions présentées par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse tendant au remboursement des débours exposés comme employeur de M. B… ne peuvent qu’être rejetées.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B… et le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions de M. B… contre la SPL Oz-Vaujany :
6. En vertu de l’article L. 342-13 du code du tourisme, l’exploitation des pistes de ski, qui inclut notamment leur entretien et leur sécurité, constitue un service public industriel et commercial. En raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître d’un litige opposant une victime à l’exploitant d’un domaine skiable, que sa responsabilité soit recherchée pour faute ou sans faute. Par suite, la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître des conclusions présentées par M. B… à l’encontre de la SPL Oz-Vaujany, gestionnaire du domaine skiable de la commune d’Oz-en-Oisans.
Sur les conclusions de la SPL Oz-Vaujany contre la commune d’Oz-en-Oisans :
7. L’appel principal présenté par M. B… n’ayant pas pour effet d’aggraver la situation de la SPL Oz-Vaujany, les conclusions d’appel provoqué présentées par celle-ci à l’encontre de la commune d’Oz-en-Oisans, au-delà du délai d’appel, sont irrecevables.
Sur les frais liés au litige de première instance :
8. Nonobstant le volume des écritures produites en première instance et le montant de la demande présentée à son encontre par la commune d’Oz-en-Oisans, il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal administratif de Grenoble a fait une inexacte appréciation des circonstances de l’espèce, en rejetant les conclusions de la SPL Oz-Vaujany présentées à l’encontre de M. B… sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige d’appel :
9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d’Oz-en-Oisans, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B…. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement d’une somme au titre des frais exposés par la commune d’Oz-en-Oisans et par la SPL Oz-Vaujany dans la présente instance, en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions présentées par M. B… à l’encontre de la SPL Oz-Vaujany sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B…, à la commune d’Oz-en-Oisans, à la SPL Oz-Vaujany, à la mutuelle générale de l’éducation nationale, au recteur de l’académie de Grenoble et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.