Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB
ICHN – Refus illégal – Critères d’éligibilité – Autorités compétentes
26/06/2024, Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB
CAA de LYON – 3ème chambre
N° 22LY02593
Inédit au recueil Lebon
Lecture du mercredi 12 juin 2024
Président
TALLEC
Rapporteur
Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public
DELIANCOURT
Avocat(s)
LAUMET
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L’EARL La Croix de Renod a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 novembre 2019 par laquelle le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes lui a refusé le bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, ensemble la décision du 3 février 2020 de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2001791 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août 2022 et 12 janvier 2023, l’EARL La Croix de Renod, représentée par Me Laumet, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 juin 2022 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre une somme de 4 000 euros à la charge de la Région Auvergne Rhône-Alpes et de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que c’est à tort que la décision en litige et le tribunal administratif ont cru devoir faire application de l’instruction technique DGPE/SDPAC/2017-52 du 10 janvier 2017 du ministère de l’agriculture et de l’alimentation ; seul un arrêté conjoint adopté par deux ministres, et non une simple instruction technique prise par un seul ministre, peut préciser les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux ; l’instruction technique du 10 janvier 2017 méconnaît les dispositions de l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime ; elle n’est pas la norme règlementaire visée à l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime ; elle n’est pas une règle exposée dans le » cadre national « , notion qui n’a pas à être amalgamée avec celle de droit national ; en tout état de cause, aucune règle nationale ne peut venir limiter les règles d’éligibilité de l’Union européenne ; l’instruction technique du 10 janvier 2017 ajoute un critère et va donc au-delà de la seule précision autorisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par la SELARL Philippe Petit et associés, agissant par Me Petit, conclut au rejet de la requête et demande qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Par une ordonnance du 8 juin 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 31 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ;
– le décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
– les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
– et les observations de Me Laumet pour l’EARL La Croix de Renod ainsi que celles de Me Frigière pour la région Auvergne Rhône-Alpes.
Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré, présentée pour l’EARL La Croix de Renod, enregistrée le 29 mai 2024.
Considérant ce qui suit :
1. L’EARL La Croix de Renod relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 29 novembre 2019 par laquelle le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes lui a refusé le bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, ensemble la décision du 3 février 2020 de rejet de son recours gracieux.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l’article 6 du règlement (UE) n° 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) : » 1. Le Feader agit dans les États membres à travers les programmes de développement rural. Ces programmes mettent en œuvre une stratégie visant à répondre aux priorités de l’Union pour le développement rural grâce à un ensemble de mesures, définies au titre III. Un soutien auprès du Feader est demandé pour la réalisation des objectifs de développement rural poursuivis dans le cadre des priorités de l’Union. / 2. Un État membre peut présenter un programme unique couvrant tout son territoire ou une série de programmes régionaux. (…) / 3. Les États membres ayant opté pour des programmes régionaux peuvent aussi présenter pour approbation, conformément à l’article 10, paragraphe 2, un cadre national contenant les éléments communs de ces programmes sans procéder à une dotation budgétaire distincte (…) « . Par ailleurs, aux termes du paragraphe 2 de l’article 10 du même règlement : » Chaque programme de développement rural est approuvé par la Commission au moyen d’un acte d’exécution « .
3. Pour la période 2014-2020, l’article 78 de la loi n° 2014-78 du 27 janvier 2014 relative à la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles confie à l’échelon régional l’élaboration de programmes de développement rural régionaux (PDRR), dont les fonctions d’autorité de gestion sont confiées aux régions. Aux termes du III de cet article » Pour le Fonds européen agricole pour le développement rural, un décret en Conseil d’Etat précise en tant que de besoin les orientations stratégiques et méthodologiques pour la mise en œuvre des programmes. Il définit celles des dispositions qui doivent être identiques dans toutes les régions (…) « .
4. Aux termes de l’article 1er du décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020 : » Les orientations stratégiques et méthodologiques mentionnées au premier alinéa du III de l’article 78 de la loi du 27 janvier 2014 susvisée pour la mise en œuvre, en France métropolitaine (…) des programmes de développement rural, sont fixées dans les annexes au présent décret. (…) « . Si les premiers juges ont mentionné, à tort, l’annexe II du décret du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020, l’annexe I de ce décret précise en son point 2.2 que le contenu obligatoire de l’ICHN concerne notamment » les conditions d’éligibilité des demandeurs, liées à l’exploitation et liées à l’exploitant « . Elle prévoit que le type de bénéficiaires, les surfaces éligibles ainsi que les modalités de rémunération et de financement de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) inscrite dans les programmes de développement rural régionaux (PDRR) sont fixés au niveau national, au sein du cadre national, ainsi que le permet le 3 de l’article 6 du règlement du 17 décembre 2013. Ce décret donne ainsi effet aux dispositions du cadre national.
5. Aux termes de l’article D. 113-18 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de l’article 1er du décret du 1er août 2016 fixant les conditions d’attribution des indemnités compensatoires de handicaps naturels permanents dans le cadre de l’agriculture de montagne et des autres zones défavorisées : » Peuvent bénéficier des aides compensatoires de handicaps naturels et spécifiques, dans les conditions prévues par le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux de la France prévus aux 2 et 3 de l’article 6 du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) pour la période 2015-2020 et approuvés par la Commission européenne, les agriculteurs actifs au sens de l’article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique commune et de l’article D. 615-18 « . Aux termes de l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du même décret : » Le calcul des aides allouées à chaque agriculteur est effectué selon les règles définies par le programme de développement rural régional de la région où sont situées les surfaces agricoles de l’exploitation bénéficiaire et, le cas échéant, par le cadre national mentionné à l’article D. 113-18. / Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et du budget détermine les modalités de définition des sous-zones à l’intérieur de chaque zone défavorisée. Cet arrêté précise, en tant que de besoin, les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux. Il détermine les surfaces et les catégories de cheptel retenues pour le calcul du taux de chargement lorsqu’un tel critère est prévu par le cadre national ou le programme de développement rural régional applicable à la région concernée. (…) « .
6. Le cadre national du programme de développement rural approuvé par la commission européenne le 30 juin 2015, disponible sur le site du ministère de l’agriculture et de l’alimentation dans une rubrique dédiée au fonds européen agricole pour le développement rural, précise, en application des dispositions combinées du 3 de l’article 6 du règlement et de l’annexe I du décret du 16 avril 2015, les conditions d’admissibilité, pour l’indemnité compensatoire de handicaps naturels. Il prévoit notamment, au titre de l’éligibilité du demandeur : » (…) Détenir un cheptel d’au moins 3 UGB en production animale (…) « .
7. Pour rejeter la demande l’EARL La Croix de Renod tendant à bénéficier, au titre de la campagne 2015, de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels et spécifiques, le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes lui a opposé le fait que le critère d’éligibilité hivernale prévu par le point 4.4 de l’instruction technique du ministère de l’agriculture du 10 janvier 2017, n’était pas rempli.
8. Le point 4.4 de cette l’instruction technique prévoit que » Afin de s’assurer de l’effectivité de l’activité agricole pendant la période d’hivernage, le seuil de 3 UGB minimum pour l’éligibilité, tel que décrit au §2.1.2 (avec en particulier les conditions d’éligibilité à respecter pour les équidés) devra également être respecté pendant la période du 1er décembre au 1er avril « . Comme le soutient l’EARL La Croix de Renod, l’instruction technique dont il a été fait application ne s’est pas bornée à appliquer les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national, qu’elle a précisées en imposant la détention d’un cheptel de trois UGB minimum au cours de la période du 1er décembre au 1er avril, alors que les dispositions de l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime prévoient dans une telle hypothèse l’intervention d’un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et du budget.
9. Il résulte de ce qui précède que l’EARL La Croix de Renod est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
10. Le présent arrêt implique seulement que le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes procède au réexamen de la demande de l’EARL La Croix de Renod tendant au bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, et prenne une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la région Auvergne-Rhône-Alpes demande au titre des frais qu’elle a exposés soit mise à la charge de l’EARL La Croix de Renod, qui n’est pas partie perdante. En application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la défenderesse le versement d’une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’EARL La Croix de Renod.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001791 du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Grenoble, la décision du 29 novembre 2019 par laquelle le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes a refusé à l’EARL La Croix de Renod le bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, ensemble la décision du 3 février 2020 de rejet de son recours gracieux, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes de procéder au réexamen de la demande de l’EARL La Croix de Renod tendant au bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt.
Article 3 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera une somme de 2 000 euros à l’EARL La Croix de Renod au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l’EARL La Croix de Renod et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l’audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02593