Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB

La Plagne/ Cession de parcelles communales/ Elu intéressé (maire): oui/ Illégalité

CAA de LYON, 4ème chambre, 29/04/2021, 19LY02640, Inédit au recueil Lebon CAA de LYON – 4ème chambre N° 19LY02640 Inédit au recueil Lebon Lecture du jeudi 29 avril 2021 PrésidentM. d’HERVE RapporteurM. Christophe RIVIERE Rapporteur publicM. SAVOURE Avocat(s)LE GULLUDEC Texte intégral RÉPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure M. C… I… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler la délibération du 3 avril 2017 par laquelle le conseil municipal de La-Plagne-Tarentaise a décidé de céder les parcelles cadastrées n° 1791p, 1798p, 1836p, 1881p, 1946p, 1950p à 1952p et 1999p, à la société La Cascade au prix d’un million d’euros. Par un jugement n° 1703020 du 25 juin 2019, rectifié par une ordonnance du 1er juillet 2019 de son président, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette délibération. Procédure devant la cour Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2019, et un mémoire enregistré le 12 janvier 2021, la commune de La-Plagne-Tarentaise, représentée par Me B… de la Selarl Paillat, Conti et B…, demande à la Cour : 1°) à titre principal, d’annuler le jugement susmentionné du 25 juin 2019 du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter la demande de M. C… I… ; 2°) à titre subsidiaire, de ne prononcer l’annulation de la délibération précitée qu’à défaut de régularisation dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir ; 3°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de M. I… la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : – la requête d’appel est recevable dès lors qu’elle a été régularisée, au surplus dans le délai d’appel, puisque, par une délibération du 22 août 2019, M. Bernard Hanrard, conseiller municipal, a été désigné pour représenter la commune ; – à titre principal, le jugement contesté a admis à tort la recevabilité de la demande de première instance alors qu’elle était été portée devant une juridiction incompétente, puisque la délibération contestée n’est pas détachable de l’exécution d’un contrat de droit privé et est, en tout état de cause, dirigée contre un acte ne faisant pas grief, qui est purement confirmatif des principes fixés par la délibération n° 2016-307 du 7 novembre 2016, dont elle a le même objet ; – à titre subsidiaire, il n’y a pas eu méconnaissance des dispositions de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales ; – le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales est inopérant et la délibération attaquée ne méconnait pas cet article ; – le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales, en particulier d’une information insuffisante des membres du conseil municipal sur la détermination du prix de vente, est inopérant à l’encontre de la délibération contestée ; – le moyen tiré de ce que  » la délibération contestée porte sur des parcelles, bâtiment et équipements du domaine public  » et que le  » conseil municipal par sa délibération et le maire ont commis une erreur de droit en procédant à son déclassement du domaine public commune alors que ces biens continuaient « pour une durée de 3 ans » à être affectés au besoin du service public  » n’est pas assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé, alors qu’elle a fait application des dispositions de l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques ; – lors de la vente, intervenue le 22 mai 2017, les locaux de la gendarmerie et les parkings y attenant ne faisaient plus partie du domaine public communal ; – le moyen tiré du caractère manifestement disproportionné du prix de cession du terrain communal doit être écarté dès lors qu’il n’est pas démontré que les parcelles du domaine privé communal auraient été cédées à un prix inférieur à celui du marché ; – à titre infiniment subsidiaire, conformément à ses développements devant les premiers juges, si la délibération attaquée devait être déclarée illégale, l’annulation ne prendra pas effet dès lors que cette délibération sera régularisée dans un délai fixé par le tribunal. Par un mémoire enregistré le 22 octobre 2019, et un mémoire non communiqué enregistré le 26 mars 2021, M. C… I…, représenté par Me H…, conclut à la confirmation du jugement contesté et donc au rejet de la requête, et à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de La-Plagne-Tarentaise la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que : – la requête d’appel est irrecevable dès lors qu’elle est présentée par M. A…, qui étant intéressé à la délibération annulée par le jugement contesté, est incompétent pour agir au nom de la commune dans ce dossier ; – les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ; – l’intérêt personnel de M. A… est suffisamment établi ; – l’avis du service de France Domaine correspondant aux parcelles objet de la délibération du 3 avril 2017 n’a pas été communiqué aux membres du conseil municipal préalablement au vote de la délibération, et l’avis de France Domaine visé par cette délibération est erroné et ne porte pas sur les mêmes parcelles que celles objet de la cession ; – les caractéristiques essentielles de la vente telles que mentionnées dans la délibération contestée sont trompeuses ; – la valeur des parcelles vendues mentionnée comme étant de 1 000 000 euros est présentée de manière trompeuse ; – en raison des mentions trompeuses des parcelles, de la superficie, de l’avis de France Domaine, de la personne morale bénéficiaire de la cession, et de l’absence d’indication des finalités poursuivies par l’opération immobilière, l’article L.2121-13 du CGCT a été méconnu, les membres de l’assemblée délibérante ayant été amenés à délibérer sans connaître la réalité de la consistance des biens cédés, l’objet de l’opération projetée, et la valeur du bien cédé ; – la délibération de cession à une société privée porte sur des parcelles dont certaines ont continué à être affectées au service public pendant trois ans ; la commune a donc commis une erreur de droit en procédant à la vente d’un bien appartenant au domaine public communal ; – le prix de cession est très inférieur à la valeur du bien et constitue une libéralité illégale ; – à toute fins utiles, il se réfère expressément à l’ensemble de ses moyens exposés dans ses écritures de première instance ; – la gravité des irrégularités et le montant de l’appauvrissement des deniers de la commune sont tels que la demande tendant à limiter dans le temps les effets de l’annulation ne peut qu’être rejetée. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : – le code général des collectivités territoriales ; – le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience. Après avoir entendu au cours de l’audience publique : – le rapport de M. E… ; – les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ; – et les observations de Me B… pour la commune de La-Plagne-Tarentaise et celles de Me D…, substituant Me H…, pour M. I…. Considérant ce qui suit : 1. Par une délibération du 4 juillet 2016, le conseil municipal de la commune de La-Plagne-Tarentaise a autorisé le groupe G…-La Cascade à déposer une demande de permis de construire pour la réalisation d’un programme immobilier sur les parcelles communales n° 1252, 1831, 1946, 1952, 1791 et 1798. Par un arrêté du 14 décembre 2016, le maire de La-Plagne-Tarentaise a délivré à la société La Cascade un permis de construire pour la démolition de l’ancienne gendarmerie et la création d’un bâtiment à usage de logements touristiques, de bureaux et destiné à accueillir des services publics ou d’intérêt collectif sur ces parcelles. Par une délibération du 7 novembre 2016, le conseil municipal a autorisé le maire à signer, au nom de la commune, une convention avec la société La Cascade afin d’entériner l’ensemble des accords précédemment arrêtés, a fixé à un million d’euros hors taxes le prix de vente des parcelles communales et a précisé la vocation de l’immeuble à édifier sur celles-ci. Le permis de construire précité a été transféré à la SCCV Plagne, représentée par M. G…, par arrêté municipal du 14 février 2017. Le 6 mars 2017, le conseil municipal de La-Plagne-Tarentaise a prononcé, d’une part, la désaffectation, pour trois ans à compter du 15 avril 2017, des locaux de la gendarmerie ainsi que des parkings y attenant et, d’autre part, leur déclassement du domaine public. Par délibération du 3 avril 2017, le conseil municipal a approuvé la cession des parcelles n° 1791p, 1798p, 1836p, 1881p, 1946p, 1950p, 1951p, 1952p et 1999p, à la société La Cascade au prix d’un million d’euros. M. I…, conseiller municipal de La-Plagne-Tarentaise, a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler cette délibération. Par un jugement n° 1703020 du 25 juin 2019, rectifié par une ordonnance du 1er juillet 2019 de son président, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette délibération. La commune de La-Plagne-Tarentaise relève appel de ce jugement. Sur la régularité du jugement : 2. Ainsi que l’ont retenu à bon droit les premiers juges, la délibération attaquée du 3 avril 2017 approuvant la cession de parcelles appartenant à la commune de La-Plagne-Tarentaise, devant intervenir après désaffectation de ces parcelles du domaine public et intégration au domaine privé communal, constitue un acte de disposition détachable de la convention sous seing privé à conclure, dont la juridiction administrative est compétente pour apprécier la légalité. Sur le bien-fondé du jugement : 3. En premier lieu, le caractère confirmatif d’une décision suppose une identité d’objet, de cause juridique et de contexte, en particulier de circonstances de droit et de fait, avec celle qu’elle est réputée confirmer. 4. La délibération n° 2016-307 du 7 novembre 2016 du conseil municipal de La-Plagne-Tarentaise mentionnée au point 1 et la délibération attaquée n’ont pas le même objet dès lors qu’elles portent respectivement sur le principe de la cession et sur l’approbation de celle-ci après désaffectation et déclassement des locaux de la gendarmerie et des parkings attenants, et qu’en outre, elles ne peuvent être regardées comme portant sur les mêmes parcelles alors que la délibération contestée concerne des parcelles non visées par celle du 7 novembre 2016. A cet égard, le rapport au conseil municipal, dont se prévaut l’appelante, ne saurait établir l’identité d’objet entre ces deux délibérations concernant les parcelles cédées. Ainsi, comme l’ont jugé à bon droit les premiers juges, la délibération contestée n’est pas confirmative de la délibération du 7 novembre 2016. 5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales :  » Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires « . 6. Il résulte des dispositions précitées que la participation au vote permettant l’adoption d’une délibération d’un conseiller municipal intéressé à l’affaire qui fait l’objet de cette délibération, c’est-à-dire y ayant un intérêt ne se confondant pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l’illégalité. De même, sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l’adoption d’une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d’une participation à son vote, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d’exercer une influence sur la délibération. 7. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que dans les jours suivant la délibération contestée approuvant la cession de parcelles à la société La Cascade au prix d’un million d’euros, M. F… A…, maire de La-Plagne-Tarentaise a, par un arrêté du 11 avril 2017, visant une demande conjointe du 10 avril 2017 présentée par les entreprises A… TP et Barel et G…, autorisé ces entreprises à occuper une partie du domaine public et à en règlementer la circulation et le stationnement pour permettre la construction du bâtiment Les Lodges, qui est celui faisant l’objet du projet immobilier du groupe La Cascade dont la réalisation est prévue sur les parcelles concernées par la délibération litigieuse du 3 avril 2017. L’entreprise de BTP A… et frères, active depuis le 17 juin 1991 et présidée par M. F… A…, est intervenue pour les besoins du chantier relatif au projet immobilier précité pour réaliser les travaux de terrassement. Il ressort également des pièces du dossier que M. A…, qui a présidé la séance du 3 avril 2017 du conseil municipal, comme d’ailleurs celles des 7 novembre 2016 et 6 mars 2017, a pris part activement aux débats et que la délibération a été prise sur son rapport. Ainsi le maire de La-Plagne-Tarentaise, qui était personnellement intéressé à l’affaire au sens de l’article L. 2131-11 précité, a nécessairement exercé une influence sur la décision prise par la commune, alors même que la délibération contestée a été acquise par 41 voix, 2 voix contre et une abstention. 8. En troisième et dernier lieu, l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu. Toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation. Il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il aura déterminée. 9. Comme l’ont jugé à bon droit les premiers juges, la seule circonstance que le vice dont est entachée la délibération du 3 avril 2017 soit régularisable ne constitue pas un motif justifiant qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses. Par suite, les conclusions de la commune de La-Plagne-Tarentaise tendant à la limitation dans le temps des effets de l’annulation de la délibération du 3 avril 2017 doivent être rejetées. 10. Il résulte de ce qui précède que la commune de La-Plagne-Tarentaise n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé, pour le motif mentionné au point 7, la délibération du 3 avril 2017 par laquelle le conseil municipal de La-Plagne-Tarentaise a décidé de céder les parcelles cadastrées n° 1791p, 1798p, 1836p, 1881p, 1946p, 1950p à 1952p et 1999p, à la société La Cascade au prix d’un million d’euros. Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 11. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de La-Plagne-Tarentaise, partie perdante, doivent être rejetées. 12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de La-Plagne-Tarentaise au profit de M. C… I…, la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : La requête de la commune de La-Plagne-Tarentaise est rejetée. Article 2 : La commune de La-Plagne-Tarentaise versera la somme de 2 000 euros à M. C… I… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La-Plagne-Tarentaise et à M. C… I…. Copie sera adressée au préfet de la Savoie.

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