Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB

Route des gorges de l’Arly/ Ouvrage public exceptionnellement dangereux (non)…

CAA de LYON N° 15LY02135    Inédit au recueil Lebon 6ème chambre – formation à 3 M. POMMIER, président Mme Cécile COTTIER, rapporteur Mme VIGIER-CARRIERE, rapporteur public LALA-BOUALI, avocat lecture du jeudi 28 septembre 2017 REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS     Texte intégral Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure M. B…C…a demandé, le 9 octobre 2012, au tribunal administratif de Grenoble : – de retenir la responsabilité du département de la Savoie pour l’accident dont il a été victime le 25 janvier 2012 sur la route départementale 1212 ; – de condamner le département de la Savoie à réparer l’entier préjudice subi du fait de cet accident ; – d’ordonner une expertise médicale afin d’évaluer son préjudice ; – de condamner le département de la Savoie à lui verser une somme de 150 000 euros à titre de provision ; – de condamner le département de la Savoie à lui verser une somme de 2 500 euros au titre l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; La caisse primaire d’assurance maladie de l’Ardèche, représentant la CPAM de la Savoie, par mémoires des 26 août 2014 et 2 décembre 2014, a conclu à la condamnation du département de la Savoie à lui verser les sommes de 225 857,90 euros au titre des prestations versées et de 1 028 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion. Par un jugement n° 1205313 du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. C…et les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ardèche. Procédure devant la cour Par une requête enregistrée le 23 juin 2015, M. C…représenté par Me D…demande à la cour : 1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 avril 2015 ; 2°) de condamner le département de la Savoie à réparer l’entier préjudice subi du fait de l’accident dont il a été victime le 25 janvier 2012 ; 3°) d’ordonner, avant de dire droit, une expertise médicale pour décrire les séquelles qu’il a subies suite à accident ; 4°) de condamner le département de la Savoie à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 150 000 euros à valoir sur l’indemnisation des conséquences dommageables de son préjudice ; 5°) de mettre à la charge du département de la Savoie une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : – le 25 janvier 2012, aux environs de 19H00, alors qu’il circulait sur la route départementale1212 en direction d’Albertville, le long des gorges de l’Arly, un rocher de 20 tonnes s’est décroché de la paroi et s’est écrasé sur son véhicule ; il a subi un traumatisme crânien et présente différentes séquelles ; – la responsabilité sans faute du département de la Savoie est engagée dès lors qu’en l’espèce s’applique le régime de responsabilité au titre des risques créés par les ouvrages  » exceptionnellement dangereux  » ; lui est applicable la jurisprudence issue de la décision du Conseil d’Etat Sieur A…du 6 juillet 1973 sur les éboulements de falaise ; le risque pour les usagers doit apparaitre comme continu et atteindre un niveau de gravité apprécié par la fréquence des accidents ; la survenance de nombreux accidents et la récurrence des éboulements en quelques années sont des indices sérieux du caractère exceptionnellement dangereux de l’ouvrage ; ce caractère exceptionnellement dangereux au cas d’espèce est démontré par les nombreuses précautions prises par le département en matière de signalisation, de protection, et de sécurisation des lieux ; le secteur de l’accident constitue une zone à haut risque ; l’importance des investissements financiers consentis pour sécuriser la RD 1212 témoigne de la dangerosité de cette route et du caractère exceptionnel de cette dangerosité ; des éboulements récurrents se sont produits avant et après son accident ; en octobre 2013, la route a été fermée à raison d’un éboulement de 10m3 de pierres et un nouveau dispositif de sécurisation a été mis en place ; en janvier 2014, des roches sont tombées sur la route au  » Cliet  » ; la route a été fermée pendant plusieurs semaines en 2013 et 2014 ; il a subi un préjudice anormal et spécial ; – à titre subsidiaire, la responsabilité du département est engagée pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage ; cet ouvrage est une zone à risque selon les documents internes de l’administration ; les mesures de sécurité prises postérieurement à son accident montrent que le département disposait des moyens pour sécuriser la voie ; la signalisation du risque de chute de pierres ne prévient pas les éboulements ; la prétendue surveillance des lieux n’a pas permis de prévenir les risques de chute de pierres sur cet axe routier fréquemment emprunté ; l’administration ne rapporte pas la preuve d’un entretien normal de l’ouvrage ; il ne s’agit pas d’un cas de force majeure, cet éboulement n’étant ni imprévisible ni irrésistible ; malgré sa prudence ; il ne pouvait éviter cet accident ; – une expertise médicale doit être ordonnée pour évaluer ses séquelles et préjudices ; – une provision de 150 000 euros est demandée sur l’indemnisation de ses préjudices ; Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2015, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ardèche, représentant la CPAM de la Savoie, demande la condamnation du département de la Savoie à lui verser la somme de 308 636,36 euros au titre des débours engagés pour M. C…, la somme de 1 037 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion, et à ce qu’il soit mis à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; Elle soutient que : – la responsabilité du département de la Savoie est engagée même en l’absence de faute dans la mesure où le tronçon de la route départementale 1212 sur lequel a eu lieu l’accident présentait à la date du fait dommageable un caractère exceptionnel dangereux ; les risques d’éboulement présentaient un degré de gravité élevé ; plusieurs éboulements ont eu lieu et le département a mis en place des travaux de renforcement de la falaise considérables ; la chute d’un rocher de 20 tonnes constitue un risque qui excède manifestement ce à quoi doit s’attendre tout automobiliste circulant sur une route de montagne ; – la responsabilité du département de la Savoie est également engagée pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage public ; la route est une zone à risque à raison d’éboulements ; les travaux de renforcement postérieurs démontrent l’absence d’entretien préexistant à l’accident ; – ont été servies à M. C…des prestations pour un montant de 308 636,36 euros ; ces prestations devront s’imputer sur les postes de dépenses de santé actuelles et pertes de gains professionnels ; – elle a droit à l’indemnité forfaitaire de gestion ; Par un mémoire enregistré le 23 décembre 2015, le département de la Savoie, représenté par Phelip et Associés, conclut au rejet de la requête de M.C…, à la confirmation du jugement du tribunal administratif et à titre subsidiaire à ce que l’indemnité provisionnelle doit être limitée à 2 000 euros. Il formule également des conclusions tendant à ce qu’il soit mis à la charge de M. C…la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Vu les autres pièces du dossier. Vu : – le code de la sécurité sociale ; – le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme Cottier, premier conseiller ; – les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ; – et les observations de Me Demesy, avocat, représentant le département de la Savoie. 1. Considérant que, le 25 janvier 2012, alors qu’il circulait, à hauteur du Pont de Flons, sur la route départementale 1212 en direction d’Albertville, M. C… a été victime d’un accident provoqué par la chute d’un rocher de vingt tonnes qui s’est détaché, à l’instant de son passage, de la paroi rocheuse surplombant la route et s’est écrasé sur son véhicule ; que M. C… a été gravement blessé ; qu’il a recherché devant le tribunal administratif de Grenoble la responsabilité du département de la Savoie en raison du caractère exceptionnellement dangereux de la voie dont ce département est maître d’ouvrage ; que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ainsi que les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ardèche tendant au remboursement des débours exposés pour le compte de son assuré ; que M. C…interjette appel de ce jugement ; que, par la voie de l’appel incident, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ardèche, représentant la CPAM de la Savoie, demande la condamnation du département de la Savoie à lui verser les sommes de 308 636,36 euros au titre de ses débours actuels et de 1 037 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; Sur la responsabilité du département : En ce qui concerne l’appel principal de M.C… : 2. Considérant, en premier lieu, qu’une collectivité publique peut en principe s’exonérer de la responsabilité qu’elle encourt à l’égard des usagers d’un ouvrage public victimes d’un dommage causé par l’ouvrage si elle apporte la preuve que ledit ouvrage a été normalement aménagé et entretenu ; que sa responsabilité ne peut être engagée à l’égard des usagers, même en l’absence de tout défaut d’aménagement ou d’entretien normal, que lorsque l’ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d’un ouvrage exceptionnellement dangereux ; 3. Considérant que pour démontrer la forte dangerosité de la RD 1112 et la gravité exceptionnelle des risques encourus par les usagers, M C… se prévaut en appel d’articles de presse relatant plusieurs éboulements survenus après son accident ; qu’il résulte toutefois de l’instruction que les éboulements qui se sont produits en octobre 2013 ont eu lieu à proximité du tunnel des Cliets ; qu’il en va de même des risques d’éboulement observés en janvier 2014 ; qu’en l’absence de toute démonstration de la similitude de circonstances et de configuration des lieux pouvant exister entre ces éboulements et celui ayant causé l’accident dont il s’agit, le détachement de morceaux de roches au niveau du tunnel des Cliets ne saurait suffire à attester du caractère exceptionnellement dangereux de la portion de route où s’est produit l’accident dont a été victime M. C…à hauteur du pont de Flons ; qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’à la date du fait dommageable, le tronçon sur lequel est survenu l’accident subi par le requérant présentait les caractéristiques d’un ouvrage particulièrement dangereux dès lors qu’il n’est pas allégué que de tels éboulements à l’endroit de l’accident étaient constants et auraient provoqué d’autres accidents ; que les circonstances que le risque d’éboulement sur certaines portions de la RD 1112 était connu des services départementaux qui avaient entrepris depuis des années de sécuriser les lieux en confortant les roches, en installant des filets de protection et en signalant les zones les plus susceptibles d’éboulement et que le département de la Savoie a accru ses investissements consacrés aux travaux de protection après cet accident ne permettent pas non plus de faire regarder le tronçon routier en cause comme un ouvrage exceptionnellement dangereux de nature à engager la responsabilité de la personne publique envers M. C… ; 4. Considérant, en second lieu, que M. C…soutient désormais en appel que la responsabilité du département de la Savoie est également engagée, en sa qualité de maitre d’ouvrage, pour défaut d’entretien normal de cette route ; que le département fait valoir que cet accident s’est produit dans un secteur non classé parmi ceux présentant les risques d’éboulement les plus élevés ; qu’il précise que le secteur de l’accident a fait l’objet de travaux de sécurisation en 2007, antérieurement à l’accident, avec notamment la mise en place de filets de protection et d’ancrages de confortement ; qu’il indique également que des visites régulières sont effectuées par le personnel du territoire de développement local sur la zone des gorges de l’Arly, laquelle comprend le lieu de l’accident, et qu’une évaluation annuelle des dangers liés aux rochers présents sur cette zone est réalisée sous la forme d’une visite héliportée ; que le département précise encore que, le 25 janvier 2012, jour de l’accident, a eu lieu la tournée quotidienne de surveillance et que lors de ce contrôle et notamment suite au relevé de température ayant été réalisé 100 mètres en amont de la zone de l’accident, aucun phénomène anormal n’a été relevé ; que l’ensemble de ces éléments n’est pas contesté par M.C… ; qu’il est constant que des panneaux de signalisation de risques d’éboulis étaient présents sur cette route départementale et notamment à proximité de la zone de l’accident ; que même si, comme le fait valoir M. C…, ces panneaux ne sont pas de nature à empêcher les éboulis, ils signalaient correctement les dangers potentiels de chute de roches ; qu’ainsi, l’existence d’une surveillance régulière du tronçon de la route en cause et d’une signalisation appropriée avertissant les usagers du risque encouru d’éboulis et de chute de roches est suffisamment établie ; que, dans ces conditions, le département de la Savoie doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l’entretien normal de cette portion de la voie publique ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions relatives au défaut d’entretien normal, la responsabilité du département de la Savoie ne peut être engagée du fait de l’accident survenu à M. C… ; 5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. C…n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de la responsabilité du département de la Savoie ainsi que par voie de conséquence ses conclusions présentées aux fins d’expertise et de versement d’une provision ; En ce qui concerne les conclusions présentées pour la CPAM de la Savoie : 6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en l’absence de responsabilité du département de la Savoie, les conclusions présentées pour la caisse primaire d’assurance maladie de la Savoie tendant à la condamnation dudit département au remboursement des frais engagés à la suite de l’accident subi par M. C… et au paiement de l’indemnité forfaitaire de l’article L. 376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale, doivent être rejetées ; Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du département de la Savoie qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que le requérant et la CPAM de la Savoie demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département de la Savoie sur le même fondement ; DECIDE : Article 1er : La requête de M. C…et les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie de la Savoie sont rejetées. Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Savoie au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B…C…, à la caisse primaire d’assurance maladie de la Savoie et au département de la Savoie.

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