Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB
Licences de pêche – Grands lacs (Savoie, Haute-Savoie)
28/07/2020, Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB
CAA de LYON
N° 18LY02726
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
Mme PAIX, président
Mme Sophie CORVELLEC, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public
DA COSTA – DOS REIS, avocat
lecture du jeudi 9 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public et M. E… ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle le préfet de la Savoie a refusé de renouveler les licences de pêche aux engins et aux filets à compter du 1er janvier 2017 sur les eaux du lac du Bourget, ensemble la décision du 1er août 2016 rejetant le recours gracieux de l’association.
Par un jugement n° 1605523 du 28 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 juillet 2018 et un mémoire enregistré le 19 décembre 2019, l’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public, représentée par Me Da Costa (SELAS Da Costa -Dos Reis), avocat, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 mai 2018 ;
2°) d’annuler les décisions du préfet de la Savoie du 11 avril 2016 et du 1er août 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– les décisions litigieuses ont été adoptées au terme d’une procédure irrégulière, à défaut de consultation préalable de la commission technique départementale prévue par l’article R. 435-14 du code de l’environnement ;
– les décisions litigieuses ont été adoptées au terme d’une procédure irrégulière, à défaut pour l’ADAPAEF d’avoir été préalablement invitée à présenter ses observations ;
– les articles 18 et 30 du décret du 10 novembre 1994, depuis codifiés aux articles R. 436-24 et suivants du code de l’environnement, qui ont supprimé la possibilité de déroger à l’interdiction pour les pêcheurs amateurs de pêcher aux engins et filets dans les eaux de première catégorie et dans certains grands lacs intérieurs, sont contraires aux principes constitutionnels de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ;
– une telle suppression ne pouvait être décidée par le pouvoir réglementaire, en application de l’article L. 436-5 du code de l’environnement et de l’article 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ;
– une telle suppression est disproportionnée ;
– les décisions litigieuses méconnaissent l’article 37 et la section 2 du cahier des charges pour l’exploitation du droit de pêche de l’Etat ;
– les décisions litigieuses sont irrégulières dès lors qu’elles remettent en cause des actes créateurs de droit et ont une portée rétroactive contraire à l’article 2 du code civil ;
– elles méconnaissent la note du 28 janvier 2016 du ministre en charge de l’écologie.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés sont soit inopérants, soit infondés et doivent être écartés.
Par ordonnance du 3 décembre 2019, la clôture de l’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 10 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– le code de l’environnement ;
– le décret n° 58-873 du 16 septembre 1958 ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme B… D…, première conseillère ;
– et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 11 avril 2016, le préfet de la Savoie a refusé de renouveler les licences de pêche amateur aux engins et aux filets qui étaient jusqu’alors délivrées aux membres de l’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public dans les eaux du lac du Bourget. L’association relève appel du jugement du 28 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision, ensemble celle du 1er août 2016 rejetant son recours gracieux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l’article L. 435-1 du code de l’environnement : » I. – Le droit de pêche appartient à l’Etat et est exercé à son profit : 1° Dans le domaine public de l’Etat défini à l’article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, sous réserve des cas dans lesquels le droit de pêche appartient à un particulier en vertu d’un droit fondé sur titre ; 2° Dans les parties non salées des cours d’eau et canaux non domaniaux affluant à la mer, qui se trouvaient comprises dans les limites de l’inscription maritime antérieurement aux 8 novembre et 28 décembre 1926. Ces parties sont déterminées par décret (…) « . L’article L. 436-5 du même code dispose que : » Des décrets en Conseil d’Etat déterminent les conditions dans lesquelles sont fixés, éventuellement par bassin : (…) 4° Les dimensions des filets, engins et instruments de pêche dont l’usage est permis ; (…) 6° Les filets, engins et instruments de pêche qui sont interdits comme étant de nature à nuire au peuplement des eaux visées par le présent titre ; 7° Les procédés et modes de pêche prohibés ; (…)10° Le classement des cours d’eau, canaux et plans d’eau en deux catégories : a) La première catégorie comprend ceux qui sont principalement peuplés de truites ainsi que ceux où il paraît désirable d’assurer une protection spéciale des poissons de cette espèce ; b) La seconde catégorie comprend tous les autres cours d’eau, canaux et plans d’eau soumis aux dispositions du présent titre « . L’article R. 434-25 du code de l’environnement prévoit que : » Les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets exerçant sur les eaux du domaine public doivent adhérer à l’association agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public du département dans lequel ils pratiquent cette pêche (…) « . Aux termes de l’article R. 435-2 du même code : » Les eaux mentionnées à l’article L. 435-1 sont divisées en lots. Dans chaque lot, sans préjudice des décisions de mise en réserve, le droit de pêche exercé par les pêcheurs amateurs aux lignes, par les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets dans les eaux du domaine public et par les pêcheurs professionnels en eau douce fait l’objet d’exploitations distinctes « . L’article R. 435-10 dudit code prévoit que : » I.- Les locataires de droit de pêche et les titulaires de licences s’engagent à se conformer aux prescriptions du cahier des charges pour l’exploitation du droit de pêche de l’Etat, établi par le préfet, après avis du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques ou, à Saint-Pierre-et-Miquelon, du directeur des finances publiques (…) « . Son article R. 436-24 prévoit que : » I.- Dans les eaux de la 2e catégorie mentionnées au 1° de l’article L. 435-1, les membres des associations départementales agréées de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public peuvent pêcher au moyen d’engins, de filets et de lignes dont la nature, les dimensions et le nombre sont définis dans le cadre de la location du droit de pêche de l’Etat. II.- Seuls peuvent être autorisés : 1° Plusieurs filets de type Araignée ou de type Tramail, d’une longueur cumulée maximum de 60 mètres, ou un carrelet de 25 mètres carrés de superficie au maximum, ou un filet de type Coulette dont l’écartement des branches est inférieur ou égal à 3 mètres, ou un filet de type Coul de 1,50 mètre de diamètre maximum ; 2° Un épervier ; 3° Trois nasses ; 4° Des bosselles à anguilles, des nasses de type anguillère, à écrevisses, à lamproie, au nombre total de six au maximum, dont au plus trois bosselles à anguilles ou nasses de type anguillère ; 5° Des balances à écrevisses, des balances à crevettes, au nombre total de six au maximum ; 6° Des lignes de fond munies pour l’ensemble d’un maximum de dix-huit hameçons ; 7° Trois lignes de traînes munies au plus de deux hameçons chacune ; (…) 9° Quatre lignes montées sur canne et munies chacune de deux hameçons au plus ou de trois mouches artificielles au plus « . Enfin, en application de l’article R. 436-36 du même code : » Le ministre chargé de la pêche en eau douce fixe la liste des grands lacs intérieurs et des lacs de montagne pour lesquels le préfet peut établir par arrêté une réglementation spéciale pouvant porter dérogation aux prescriptions des articles R. 436-6, R. 436-7, R. 436-15, R. 436-16, R. 436-18, R. 436-21, R. 436-23, R. 436-26 et au 5° du I de l’article R. 436-32 (…) « .
3. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions des articles R. 436-24 et R. 436-36 du code de l’environnement précédemment rappelées que les membres des associations départementales agréées de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public ne peuvent pêcher au moyen d’engins, de filets et de lignes que dans les eaux de la seconde catégorie sans que le préfet ne puisse y déroger. Contrairement à ce que prétend l’association requérante, en mentionnant notamment la détermination des » dimensions des filets, engins et instruments de pêche dont l’usage est permis » et » le classement (…) des plans d’eau « , l’article L. 436-5 du code de l’environnement habilitait le pouvoir réglementaire à définir les catégories de pêcheurs autorisés à pêcher et les moyens utilisables, le cas échéant à titre dérogatoire, selon les catégories d’eaux en cause. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que la suppression de la possibilité pour le préfet de déroger à l’interdiction pour les pêcheurs amateurs de pratiquer la pêche aux engins et filets dans les eaux de première catégorie, laquelle résulte d’un décret du 23 décembre 1985, excéderait la compétence du pouvoir réglementaire. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen doit également être écarté.
4. En deuxième lieu, l’association requérante ne saurait utilement invoquer la motivation, selon elle confuse et contradictoire, du jugement attaqué pour soutenir que la suppression de cette faculté pour le préfet de déroger à l’interdiction pour les pêcheurs amateurs de pratiquer la pêche aux engins et filets dans les eaux de première catégorie porterait atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme. En outre, elle définit elle-même clairement la portée de cette suppression, en indiquant que désormais les pêcheurs aux engins et aux filets ne peuvent être autorisés à titre dérogatoire à pêcher dans les plans d’eau de première catégorie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif constitutionnel de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme doit être écarté.
5. En troisième lieu, dans la mesure où les pêcheurs amateurs ne pouvaient précédemment être autorisés à pratiquer la pêche aux engins et filets dans les eaux de première catégorie qu’à titre dérogatoire et où les eaux de première catégorie nécessitent, selon l’article L. 436-5 du code de l’environnement, une protection particulière en vue de la préservation des truites qui les peuplent, l’association requérante ne démontre pas que la suppression de cette possibilité pour le préfet d’y déroger serait disproportionnée, en se bornant à invoquer les autorisations dont continuent à disposer les pêcheurs professionnels, lesquels se trouvent dans une situation différente de celle des pêcheurs amateurs, au vu notamment, outre de leur situation de professionnel de la pêche, de l’engagement à participer à la gestion durable des ressources piscicoles qu’ils doivent souscrire et du nombre limité de licences qui leur sont destinées. En outre, cette suppression n’a pas pour effet de mettre fin à la pratique de la pêche amateur aux engins et aux filets, laquelle reste autorisée dans les eaux de deuxième catégorie. Dans ces conditions, le moyen tiré du caractère disproportionné de la suppression par le pouvoir réglementaire de toute possibilité de déroger à l’interdiction de la pêche amateur aux engins et aux filets dans les eaux de première catégorie doit être écarté.
6. En quatrième lieu, les décisions litigieuses n’ayant pas de portée rétroactive et ne procédant pas au retrait de décisions créatrices de droit précédemment délivrées, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit, en tout état de cause, être écarté.
7. En cinquième lieu, l’association requérante ne peut utilement se prévaloir de la note du 28 janvier 2016 du ministre en charge de l’écologie, laquelle est dépourvue de portée réglementaire.
8. En sixième lieu, si le cahier des charges pour l’exploitation du droit de pêche de l’Etat, approuvé par arrêté préfectoral du 28 juin 2016 en vertu des articles R. 435-10 et R. 435-11 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2017, mentionne, en introduction de la section 2 de son chapitre V, que » la pêche aux engins et filets n’est autorisée que sur le lac du Bourget « , son article 37 précise que celle-ci est exercée par les membres de l’association de pêche professionnelle. Ainsi, ce cahier des charges ne prévoit pas l’exercice de la pêche aux engins et filets par des pêcheurs amateurs. Par suite, l’association requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les décisions en litige seraient contraires à ces dispositions.
9. Enfin, le lac du Bourget étant classé en première catégorie en vertu de l’article 71 du décret du 16 septembre 1958 déterminant le classement des cours d’eau en deux catégories, le préfet de la Savoie était dès lors tenu de ne pas renouveler les licences jusqu’alors irrégulièrement délivrées aux pêcheurs amateurs aux engins et aux filets. Le préfet de la Savoie s’étant ainsi trouvé en situation de compétence liée, les moyens tirés de vices de procédure tenant au défaut de consultation préalable de la commission technique départementale de la pêche prévue par l’article R. 435-14 du code de l’environnement et de l’absence d’invitation préalable à présenter à ses observations doivent être écartés comme inopérants.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l’association interdépartementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public et au ministre de la transition écologie et solidaire.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
CAA de LYON
N° 18LY02704
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
Mme PAIX, président
Mme Sophie CORVELLEC, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public
DA COSTA – DOS REIS, avocat
lecture du jeudi 9 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L’association départementale de la Haute-Savoie des pêcheurs amateurs aux engins et filets et M. D… ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler la décision du 29 septembre 2015 par laquelle le préfet de la Haute-Savoie a refusé de renouveler leurs licences de pêche à compter du 1er janvier 2016 sur les eaux du lac Léman et du lac d’Annecy, ensemble la décision du 17 décembre 2015 rejetant le recours gracieux de l’association.
Par un jugement n° 1600970 du 28 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2018 et deux mémoires enregistrés le 20 novembre 2019 et le 19 décembre 2019, l’association départementale de la Haute-Savoie des pêcheurs amateurs aux engins et filets, représentée par Me Da Costa (SELARL Da Costa – Dos Reis), avocat, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 mai 2018 ;
2°) d’annuler les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 29 septembre 2015 et du 17 décembre 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S’agissant du lac Léman :
– les décisions litigieuses ont été adoptées au terme d’une procédure irrégulière, à défaut de consultation préalable de la commission technique départementale prévue par l’article R. 435-14 du code de l’environnement ;
– les décisions litigieuses ont été adoptées au terme d’une procédure irrégulière, à défaut pour l’ADAPAEF d’avoir été préalablement invitée à présenter ses observations ;
– les décisions litigieuses ne pouvaient supprimer la catégorie des » pêcheurs amateurs aux engins et filets » sur le lac Léman, catégorie créée par le code de l’environnement et reconnue par ailleurs dans la circulaire du 8 mars 2011 et une note du 28 janvier 2016 ;
– les premiers juges ont, à tort, procédé à une substitution de base dès lors que l’accord franco-suisse et ses règlements d’application ne pouvaient constituer la base légale d’une telle suppression, laquelle relevait de la seule compétence de l’Etat français ;
– la commission prévue à l’article 3 de cet accord n’a pas été préalablement saisie ;
– le préfet de la Haute-Savoie a irrégulièrement créé une troisième catégorie de pêcheurs, en délivrant des » licences de petite pêche » en lieu et place des licences qui lui étaient jusqu’alors attribuées et ainsi commis un détournement de pouvoir ;
– les décisions litigieuses sont contraires au principe de sécurité juridique, dès lors qu’elles remettent en cause des actes créateurs de droit et ont une portée rétroactive contraire à l’article 2 du code civil ;
S’agissant du lac d’Annecy :
– les décisions litigieuses ont été adoptées au terme d’une procédure irrégulière, à défaut de consultation préalable de la commission technique départementale prévue par l’article R. 435-14 du code de l’environnement ;
– les articles 18 et 30 du décret du 10 novembre 1994, depuis codifiés aux articles R. 436-24 et suivants du code de l’environnement, qui ont supprimé la possibilité de déroger à l’interdiction pour les pêcheurs amateurs de pêcher aux engins et filets dans les eaux de première catégorie et dans certains grands lacs intérieurs, sont contraires aux principes constitutionnels de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ;
– une telle suppression ne pouvait être décidée par le pouvoir réglementaire, en application de l’article L. 436-5 du code de l’environnement.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés qui sont soit inopérants soit infondés, doivent être écartés.
Par ordonnance du 3 décembre 2019, la clôture de l’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 10 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– l’accord entre le conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française concernant la pêche dans le lac Léman du 20 novembre 1980 et son règlement d’application conclu par échange de notes le 6 décembre 2010 ;
– le code de l’environnement ;
– le décret n° 58-873 du 16 septembre 1958 ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme B… E…, première conseillère,
– et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 29 novembre 2015, le préfet de la Haute-Savoie a refusé de renouveler les licences de pêche amateur aux engins et aux filets qui étaient jusqu’alors délivrées aux membres de l’association départementale agréée de pêcheurs amateurs aux engins et filets (ADAPAEF) de la Haute-Savoie tant pour le lac Léman que pour le lac d’Annecy. L’ADAPAEF de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 28 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision, ensemble celle du 17 décembre 2015 rejetant son recours gracieux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l’article L. 435-1 du code de l’environnement : » I. – Le droit de pêche appartient à l’Etat et est exercé à son profit : 1° Dans le domaine public de l’Etat défini à l’article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, sous réserve des cas dans lesquels le droit de pêche appartient à un particulier en vertu d’un droit fondé sur titre ; 2° Dans les parties non salées des cours d’eau et canaux non domaniaux affluant à la mer, qui se trouvaient comprises dans les limites de l’inscription maritime antérieurement aux 8 novembre et 28 décembre 1926. Ces parties sont déterminées par décret (…) « . L’article L. 436-5 du code de l’environnement dispose que : » Des décrets en Conseil d’Etat déterminent les conditions dans lesquelles sont fixés, éventuellement par bassin : (…) 4° Les dimensions des filets, engins et instruments de pêche dont l’usage est permis ; (…) 6° Les filets, engins et instruments de pêche qui sont interdits comme étant de nature à nuire au peuplement des eaux visées par le présent titre ; 7° Les procédés et modes de pêche prohibés ; (…) 10° Le classement des cours d’eau, canaux et plans d’eau en deux catégories : a) La première catégorie comprend ceux qui sont principalement peuplés de truites ainsi que ceux où il paraît désirable d’assurer une protection spéciale des poissons de cette espèce ; b) La seconde catégorie comprend tous les autres cours d’eau, canaux et plans d’eau soumis aux dispositions du présent titre « . Aux termes de l’article R. 435-2 du même code : » Les eaux mentionnées à l’article L. 435-1 sont divisées en lots. Dans chaque lot, sans préjudice des décisions de mise en réserve, le droit de pêche exercé par les pêcheurs amateurs aux lignes, par les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets dans les eaux du domaine public et par les pêcheurs professionnels en eau douce fait l’objet d’exploitations distinctes « . L’article R. 434-25 du code de l’environnement prévoit que : » Les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets exerçant sur les eaux du domaine public doivent adhérer à l’association agréée de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public du département dans lequel ils pratiquent cette pêche (…) « . Son article R. 436-24 prévoit que : » I. – Dans les eaux de la 2e catégorie mentionnées au 1° de l’article L. 435-1, les membres des associations départementales agréées de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets sur les eaux du domaine public peuvent pêcher au moyen d’engins, de filets et de lignes dont la nature, les dimensions et le nombre sont définis dans le cadre de la location du droit de pêche de l’Etat. II.- Seuls peuvent être autorisés : 1° Plusieurs filets de type Araignée ou de type Tramail, d’une longueur cumulée maximum de 60 mètres, ou un carrelet de 25 mètres carrés de superficie au maximum, ou un filet de type Coulette dont l’écartement des branches est inférieur ou égal à 3 mètres, ou un filet de type Coul de 1,50 mètre de diamètre maximum ; 2° Un épervier ; 3° Trois nasses ; 4° Des bosselles à anguilles, des nasses de type anguillère, à écrevisses, à lamproie, au nombre total de six au maximum, dont au plus trois bosselles à anguilles ou nasses de type anguillère ; 5° Des balances à écrevisses, des balances à crevettes, au nombre total de six au maximum ; 6° Des lignes de fond munies pour l’ensemble d’un maximum de dix-huit hameçons ; 7° Trois lignes de traînes munies au plus de deux hameçons chacune ; (…) 9° Quatre lignes montées sur canne et munies chacune de deux hameçons au plus ou de trois mouches artificielles au plus « . Enfin, en application de l’article R. 436-36 du même code : » Le ministre chargé de la pêche en eau douce fixe la liste des grands lacs intérieurs et des lacs de montagne pour lesquels le préfet peut établir par arrêté une réglementation spéciale pouvant porter dérogation aux prescriptions des articles R. 436-6, R. 436-7, R. 436-15, R. 436-16, R. 436-18, R. 436-21, R. 436-23, R. 436-26 et au 5° du I de l’article R. 436-32 (…) « .
En ce qui concerne la pêche dans les eaux françaises du lac Léman :
3. S’agissant du lac Léman, l’article R. 436-84 du code de l’environnement prévoit que : » Les dispositions des articles R. 436-6 à R. 436-79 ne sont pas applicables à la pêche dans les eaux françaises du lac Léman « . L’article R. 436-85 précise que : » L’exercice de la pêche dans les eaux françaises du lac Léman est soumis aux stipulations de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse concernant la pêche dans le lac Léman du 20 novembre 1980 et de son règlement d’application modifiés « . Selon l’article 3 de l’accord entre le conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française concernant la pêche dans le lac Léman du 20 novembre 1980 : » 1- les dispositions de caractère technique relatives à la pêche dans le lac Léman font l’objet d’un règlement d’application du présent accord. Ce règlement contient notamment des dispositions concernant : (…) les moyens de pêches que peuvent utiliser les pêcheurs amateurs (…). 2 – Sans qu’il soit porté atteinte aux dispositions du présent accord, les parties du présent accord, les parties contractantes peuvent, par échange de notes, après avis de la commission prévue à l’article 7, apporter au règlement d’application défini au premier paragraphe toutes modifications qui leur paraîtrait nécessaires « . Aux termes de l’article 1er du règlement d’application de l’accord entre le conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française concernant la pêche dans le lac Léman conclu par échange de notes le 6 décembre 2010 et entré en vigueur le 1er janvier 2011 pour une durée de cinq ans : » Chaque Etat est compétent pour : a) définir les catégories d’autorisations de pêche professionnelle et de pêche de loisir qu’il délivre ; b) définir les engins autorisés pour chacune de ces catégories, parmi ceux qui figurent aux articles 8 à 12 du présent règlement (…). « . Le chapitre V de ce règlement fixe les engins autorisés pour la pêche de loisir et vise les lignes traînantes, les autres lignes, les bouteilles à vairons ou gobe-mouches, les filoches, les carrelets et les balances à écrevisses.
4. Ainsi que l’ont relevé à juste titre les premiers juges, si la décision du préfet de la Haute-Savoie du 29 septembre 2015 vise les articles R. 436-23 et R. 436-24 du code de l’environnement, lesquels ne sont pas applicables aux eaux françaises du lac Léman, cette décision trouve sa base juridique dans les stipulations de l’accord entre le conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française concernant la pêche dans le lac Léman du 20 novembre 1980 et les dispositions du règlement d’application auquel il renvoie. Si, en vertu de l’article 1er du règlement d’application de cet accord alors applicable, les Etats parties sont seuls compétents pour définir les catégories d’autorisations de pêche et les engins auxquels elles donnent accès, celles-ci doivent être définies dans le respect des stipulations de cet accord et de son règlement d’application. Il résulte des dispositions précédemment rappelées que ce règlement n’autorise pas les pêcheurs amateurs à utiliser l’ensemble des engins auxquels donne accès la licence de pêcheur amateur aux engins et aux filets prévue par le code de l’environnement. Par suite, ainsi que le soutient le préfet de la Haute-Savoie, celui-ci était tenu de ne pas renouveler les licences jusqu’alors délivrées irrégulièrement. Sa décision n’entraînant aucune modification du règlement d’application de l’accord franco-suisse, elle n’avait pas à être précédée de la consultation de la commission visée au paragraphe 2 de l’article 3 de cet accord. Par ailleurs, et contrairement à ce que prétend l’association requérante, cette décision n’a, en tout état de cause, ni pour objet, ni pour effet de supprimer la catégorie des » pêcheurs amateurs aux engins et aux filets « , telle que reconnue par le code de l’environnement, en mettant fin à cette pratique sur le seul lac Léman. Elle ne saurait par ailleurs utilement se prévaloir d’autres licences, dites de » petite pêche « , qui seraient selon elle irrégulièrement délivrées à des pêcheurs professionnels, cette circonstance étant, à la supposer même établie, dépourvue d’incidence sur la légalité des décisions en litige. Ainsi, l’association n’est pas fondée à soutenir que la décision du préfet de la Haute-Savoie du 29 septembre 2015, ainsi que celle rejetant son recours gracieux, seraient dépourvues de base légale.
5. En deuxième lieu, le préfet de la Haute-Savoie s’étant trouvé, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, en situation de compétence liée pour refuser le renouvellement des licences de pêcheur amateur aux engins et aux filets jusqu’alors irrégulièrement délivrées dans les eaux du lac Léman, les moyens tirés de vices de procédure tenant au défaut de consultation préalable de la commission technique départementale de la pêche prévue par l’article R. 435-14 du code de l’environnement et de l’absence d’invitation préalable à présenter ses observations, de même que celui tiré d’un détournement de pouvoir, doivent être écartés comme inopérants.
6. Enfin, les décisions litigieuses n’ayant pas de portée rétroactive et ne procédant pas au retrait de décisions créatrices de droit précédemment délivrées, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit, en tout état de cause, être écarté.
En ce qui concerne la pêche dans les eaux du lac d’Annecy :
7. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions des articles R. 436-24 et R. 436-36 du code de l’environnement précédemment rappelées que les membres des associations départementales agréées de pêcheurs amateurs aux engins et aux filets peuvent pêcher au moyen d’engins, de filets et de lignes dans les eaux de deuxième catégorie, dans les conditions fixées par la location du droit de pêche, sans que le préfet ne puisse déroger à ces dispositions. Contrairement à ce que prétend l’association requérante, en mentionnant notamment la détermination des » dimensions des filets, engins et instruments de pêche dont l’usage est permis » et » le classement (…) des plans d’eau « , l’article L. 436-5 du code de l’environnement habilitait le pouvoir réglementaire à définir les catégories de pêcheurs autorisés à pêcher et les moyens utilisables, le cas échéant à titre dérogatoire, selon les catégories d’eaux en cause. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que la suppression de la possibilité pour le préfet de déroger à l’interdiction pour les pêcheurs amateurs de pratiquer la pêche aux engins et filets dans les eaux de première catégorie, laquelle résulte d’un décret du 23 décembre 1985, excéderait la compétence du pouvoir réglementaire.
8. En deuxième lieu, l’association requérante ne saurait utilement invoquer la motivation, selon elle confuse, du jugement attaqué pour soutenir que la suppression de cette faculté pour le préfet de déroger à l’interdiction pour les pêcheurs amateurs de pratiquer la pêche aux engins et filets dans les eaux de première catégorie porterait atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme. En outre, elle définit elle-même clairement la portée de cette suppression, en indiquant que désormais les pêcheurs aux engins et aux filets ne peuvent être autorisés à titre dérogatoire à pêcher dans les plans d’eau de première catégorie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif constitutionnel de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme doit être écarté.
9. Enfin, le lac d’Annecy étant classé en première catégorie en vertu de l’article 72 du décret du 16 septembre 1958 déterminant le classement des cours d’eau en deux catégories, le préfet de la Haute-Savoie était dès lors tenu de de ne pas renouveler les licences jusqu’alors délivrées irrégulièrement aux pêcheurs amateurs aux engins et aux filets. Le préfet de la Haute-Savoie s’étant ainsi trouvé en situation de compétence liée, le moyen tiré du vice de procédure tenant au défaut de consultation préalable de la commission technique départementale de la pêche prévue par l’article R. 435-14 du code de l’environnement doit être écarté comme inopérant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l’association départementale de la Haute-Savoie des pêcheurs amateurs aux engins et filets n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l’association départementale de la Haute-Savoie des pêcheurs amateurs aux engins et filets.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l’association départementale de la Haute-Savoie des pêcheurs amateurs aux engins et filets est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l’association départementale de la Haute-Savoie des pêcheurs amateurs aux engins et filets et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.